« Si un gouvernement emprisonne injustement, la place de l’homme juste est aussi en prison » Henry David Thoreau (1817-1862), Philosophe américain, auteur d’un essai sur « La Désobéissance civile », il y témoigne d’une opposition personnelle face aux autorités esclavagistes de l’époque contre la ségrégation raciale. Ainsi donc, plus que 3 jours !
En date du 03 mai 2017, Modeste Boukadia, président du Cercle des Démocrates et Républicains du Congo (CDRC), arrêté au pied de l’avion à son retour de France, passera en jugement après des mois de détention (janvier 2016-avril 2017).
Rien n’aura pourtant été évident durant cette arbitraire détention, car chose étrange, agressé par l’autorité pénitentiaire à en devenir malade chronique, Modeste Boukadia n’a jamais été entendu par un quelconque juge d’instruction. Et pourtant, au motif d’« Atteinte à la sûreté intérieure de l’Etat » (rien que ça !), à la peine infligée par contumace, 30 ans de travaux forcés, on se serait attendu à une impatiente écoute de la part du parquet.
Ne préjugeons pas. Mais cette accusation générique, marque de fabrique des régimes ayant maille avec la liberté de ton et d’expression, est souvent de complaisance en nos latitudes dites bananières par ceux qui, ne connaissant que trop bien le pouvoir gavant de la banane, auront cru avoir de quoi se mettre sous la dent, cette fois-ci aussi.
Mais de quoi retourne-t-il exactement dans cette affaire ?
Le procès qui se tiendra, n’est pas que celui d’un homme, Modeste Boukadia, il est avant tout et d’abord celui de la jeune histoire de notre pays, de ladite indépendance à aujourd’hui.
C’est le procès de nos morts continuels, dans la joyeuseté des vainqueurs du moment, celui des comploteurs patentés et jamais inquiétés, celui de la tentation séparatiste d’Opangault, des événements de 1959, de l’arrivée de Fulbert Youlou au pouvoir, de Massamba-Débat au pouvoir et des années de terreur milicienne, de la mort de Pouabou, de Matsocota, de Massouémé, de la scission de la Bouénza du Pool, de l’arrivée de Ngouabi au pouvoir, de son accaparement par une oligarchie tribale, des morts, trop nombreux, qui ont jalonné l’idéologie mortifère du Parti Congolais du Travail (PCT), du prix qu’en ont payé le Cardinal Emile Biayenda, Massamba-Débat, Samba dia Nkoumbi et tant d’autres encore à la mort de Marien Ngouabi, de Joachim Yhombi, de l’avènement de Sassou Nguésso, de la démocratie, de l’échec de Pascal Lissouba à assoir cette démocratie, des créations officialisées des milices partisanes, de la guerre de 1993, des disparus du Beach (euphémisme pour nommer ceux de nos compatriotes ayant été exterminés avec ignominie et cruauté par un pouvoir sensé les protéger), des terribles journées du 4 mars dans les quartiers au nord de Brazzaville, des successives guerres dans le Pool…, etc.

Où en est donc cette paix tant vantée ? Où en sont les enfants, les femmes et les hommes du Pool, du Congo ? Où en sont les opposants, pour certains, candidats aux élections présidentielles de 2017 ? Où en est la jeunesse congolaise ? Où en est l’économie congolaise ?
Il s’agit de tout cela à la fois et c’est ce questionnement que porte Modeste Boukadia, et c’est ce questionnement que doit avoir le peuple et ceux qui auront la tâche de le juger. Juger notre histoire.
Il nous appartient donc d’être attentif à ses enjeux sinon, à accréditer ce qu’Emmanuel Todd dit du peuple, je cite : « Les élites sont affligeantes, mais le peuple est décevant ». Faisons mentir cette constatation.
Dans son assignation à comparaitre du 27 avril 2017, il est accusé, Arrêt du 31 mars 2014 – Rôle n° 87 – Année 2013 – Répertoire n° 63 – Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Pointe Noire, d’avoir au cours d’un meeting autorisé, place de la gare de Tié-Tié, fait défiler ses partisans avec des pancartes exigeant « la mise en place d’un gouvernement d’union nationale », ou proclamant « carton rouge = démission du gouvernement « .
A l’exception de Modeste Boukadia, exfiltré en France, 28 personnes avaient été arrêtées pour ces faits :
Kimangou Joseph – Malonga Alexandre – Makamouna Nzingoula Sylvain – Mayela Rodeche Nestide – Bibila Gilbert – Mabila Mpandzou Paul Mrie – Tsiakaka Valentin – Baboyi Antoine – Silaho René – Matimouna Mouyecket Euloge – Kialounga PierrePlacide – Tandou Jean Claude davy – Ngangoue Judicael – Ngoma Sylvain Privat – Banangouna Dominique Mesmin – Samba Donald – Londhet Moussa Landry – Sanga Alphonse – Ndoye Joque – Mbizi Simeon – Boukete Platini – Ntari Arnaud Rickel – Milandou Merlin – Massengo Masse – Banakissa Bouesso Vadio – Zebele Bouesso Crize Giscard Iniele.
Du jugement rendu le 09 avril 2014, par la Cour d’appel de Pointe Noire : 14 des membres avaient été libérés, et 14 autres condamnés. Jugement par ailleurs qualifié, en novembre 2015, d’arbitraire, par le Groupe de travail sur les détentions arbitraires des Nations Unis.
En date du 03 mai 2017 est annoncé le procès de Modeste Boukadia et ses militants. Paradoxe ( ?) juridique ou fi de l’élémentaire principe juridique ? On ne sait. Faisons toutefois remarquer que ceux des membres du CDRC qui avaient été jugés, et pour la moitié d’entre eux condamnés, il ne peut être tenu un nouveau procès, et de surcroit, par la même Cour et pour le même motif. Sortis inopinément des prisons, ces militants sont convoyés par avions en partance de Brazzaville, Ouesso, Impfondo, vers la prison de Pointe Noire. A quelle fin ?
Fortuit. Et parce que ce mot n’est jamais employé par hasard !
« Le passé aussi violent, aussi virulent qu’il a pu être doit et est le ciment de ce Nouveau Contrat, non entre le citoyen/électeur et le politique, mais entre les populations du sud et les populations du nord qui sont tenues de se muer en peuple si elles ne veulent pas disparaitre, faute de ne pas avoir regardé la lunette avant mais pour avoir rivé le regard sur le rétroviseur qui renvoie, sans discernement, à la laideur du passé. » Modeste Boukadia, Ya lélo ya bisso ! – le 1er février 2017.
Les causes de la division du pays sont profondes et légendaires, tant soit peu que nous fûmes un jour unis, nombreux sont ceux qui se contentent de n’en tirer que les conséquences pour continuer comme avant.
« Je crois qu’un jour la vérité éclatera et que les responsabilités seront établies. Ce jour-là, n’importe qui ne sera pas accusé de n’importe quoi. Au lieu d’accuser le nord, le sud ou les tribus, on accusera des individus par nom et pour des actes précis. J’espère que cette vérité servira à nous réconcilier, et non à alimenter des haines et des sentiments revanchards. Sinon, ce serait un cercle vicieux, et nous n’allons jamais nous en sortir ! » N’Gouelondele Mongo Emmanuel, Mon témoignage (Tome 1, 2ème partie).
Marien Ngouabi, 1er président de la République Populaire du Congo assassiné le 18 mars 1977, déclarait, en 1973, dans un discours prémonitoire : « […] Le tribalisme et le régionalisme, il faut l’avouer, se pratiquent à tous les niveaux, depuis le bureau politique et le gouvernement, jusqu’aux directeurs des services centraux et chefs de service. Aussi lorsque le président s’engage à dénoncer et à combattre cette pratique, on crie et on s’agite contre lui […] ».
C’est encore en vain, en 2017, que nous proclamons cette hypothétique Unité et Indivisibilité de la Nation : Il ne s’agit pas toujours de construire des ponts, doit arriver un moment où il faut être de ceux qui les traversent. Aller à la rencontre de l’autre.
Qui est donc Modeste Boukadia ? « Il est le pont, le 1er d’entre les Egaux », avais-je d’emblée répondu le 06 mars 2017. Ce qui aura ressemblé, pour beaucoup, à des lauriers tressés à la hâte, reflète une réalité que méconnaissent les congolais sans mémoire, vivant dans l’immédiateté.
Dans son Ci-git le Congo Brazza, Modeste Boukadia, au-delà des acteurs, fait une analyse sans concessions qui décortique nos errements politiques, nos aberrations économiques et notre suicide social. Il lève le voile sur ce que vivent les congolais dans ce quotidien qu’ils ne peuvent plus nommer.
La connaissance, est-il dit, est de savoir que la tomate est un fruit. La sagesse, c’est de ne pas mettre de tomates dans une salade de fruits ! Ce procès qui vient, en politique (ce que je crois) ou en droit (ce que j’espère) est fondamental pour nos libertés, nos droits et surtout, pour repenser cette Union et cette Indivisibilité que d’aucuns croient acquis parce qu’un jour, des puissances tutélaires, pour leurs propres intérêts, l’ont pensé et voulu ainsi…
« Bakongos ba bomi Marien ». Rien ne guérit ce que la langue blesse sinon, l’humilité. Il n’est que temps qu’en conscience et en responsabilité nous sachions et décidions, une fois n’est pas coutume, pour nous.
Du 27 au 28 janvier, Mardi 31 Janvier 2017, financé par l’Union européenne, l’Observatoire congolais des droits de l’homme (OCDH) organisait, à Pointe Noire, un atelier sur les manquements aux droits, la détention, la saisine de la CPI. Atelier animé par Georges Nguila, Chef d’Antenne de l’OCDH à Pointe-Noire, Jérôme Magnokou, Directeur Départemental des droits humains et libertés fondamentales de Pointe-Noire et Clément Mankita, Substitut Général près la Cour d’Appel de Pointe-Noire.
Je voudrais ici vous citer ce qu’en avait dit le Substitut Général, Clément Mankita : « Le thème la légalité en matière d’arrestation et détention de personnes a fait l’objet de débats enrichissants sur les incompréhensions récurrentes constatées souvent par méconnaissance de la loi entre la force publique et le parquet concernant la détention. L’application stricte du code de procédure pénale doit guider tout le monde pour éviter des abus et les dérives tels les gardes à vue prolongées hors délai légal. La personne détenue a des droits que vous devez respecter. Comme le droit que cette personne soit assistée par un avocat depuis l’enquête préliminaire. Soyez rigoureux dans l’exercice de vos fonctions car l’officier de police judiciaire ne répond pas à n’importe quelle injonction ».
C’est ce même magistrat, Clément Mankita, Substitut Général près la Cour d’appel de Pointe Noire, qui aura en partage la charge du procès de Modeste Boukadia.
« Criton, nous devons un coq à Esculape, tu le rendras ! » Dernières paroles de Socrate – Le Phédon, Platon.
Quant à nous,
Nous guettons
Nous jaugeons
Nous agissons
Théophile Mbemba
Paris, le 30 avril 2017